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Ester Vaisman : Les rapports entre individu et genre : Réflexions à propos de « Prolégomènes pour une ontologie de l’être social » de G. Lukács

Publié le par amisgeorglukacs.over-blog.com

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Il ne s’agit pas ici de reprendre en détail la trajectoire intellectuelle longue et sinueuse de l’auteur. Dans un article publié en 2005 [1], j’ai déjà souligné le fait que « Lukács peut être considéré comme un des penseurs les plus influents de la culture marxiste contemporaine. Cette évaluation, il faut le dire, n’est pas seulement le fruit du travail de ses interprètes, lesquels, d’une façon ou d’une autre, se sont alignés sur l’œuvre du penseur hongrois, mais aussi de ses adversaires eux-mêmes » [2]. Par ailleurs, et considérant le témoignage de Nicolas Tertulian, j’ai signalé que « l’évolution intellectuelle de George Lukács nous offre une image singulière de la formation et du devenir d’une personnalité dans les conditions agitées d’un siècle non moins singulier, par sa complexité et par le caractère dramatique de son histoire » [3].

La difficulté de déterminer en quelques lignes le noyau théorique de Lukács, avant et après son adhésion au marxisme, est due au fait que l’auteur « a été profondément marqué par des expériences spirituelles les plus variées et hétérogènes » [4]  et qu’une des questions polémiques soulevées concerne les continuités et discontinuités de sa pensée. Il ne s‘agit pas non plus ici de prolonger ce thème tellement important. Néanmoins, on ne pourrait pas omettre de mentionner la thèse polémique « de ceux qui considèrent que "le vrai Lukács" est celui des œuvres de jeunesse et que la phase de maturité de son œuvre, c’est-à-dire la phase rigoureusement marxiste, constituerait une involution évidente »[5]. Il est fondamental, en outre, de mentionner un autre problème, toujours rattaché à la trajectoire polémique de l’auteur ; ses « autocritiques ». Bien que ce ne soit pas le moment le plus adéquat d’en discuter, il serait intéressant de le focaliser sous un autre angle, peut-être plus fécond, en s’interrogeant sur l’observation suivante : « quel autre penseur contemporain a été capable de renoncer critiquement et avec délibération, comme il l’a fait plusieurs fois, au prestige des ouvrages consacrées ? Renoncement qui a abouti au divorce complet de ses ouvrages, au point de manifester une totale absence d’identité d’auteur par rapport aux textes qui auraient fait, chacun de per si, la non-déclarée et toujours estimée carrière de certains, y compris les meilleurs et les plus respectables. Ce détachement, synonyme d’une énorme exigence envers soi-même, n’a jamais décliné en arrogance ou pédantisme, ni en auto proclamation de mérites ou en bravades d’autosuffisance, malgré l’immense solitude théorique à laquelle il fut désormais soumis » [6].

Certains interprètes de Lukács, tels qu’Oldrini [7] et Tertulian [8], considèrent que la phase de maturité de Lukács a commencé en 1930, quand le philosophe se consacre à ses études sur la littérature et notamment à partir d’une lecture renouvelée de la pensée de Marx. On sait que dans la première étape des exilés à Moscou, au début de 1930, Lukács, lorsqu’il quitte son exil de Vienne, travaille avec Riazanov, chargé à ce moment-là de l’édition des manuscrits de jeunesse de Marx qui entreprenait la publication de la MEGA. Cela fut pour Lukács une expérience hors du commun et responsable, probablement, du changement radical de son interprétation de la pensée marxienne. En accord avec Oldrini, ce tournant a un caractère ontologique dans la mesure où il se fonde sur la critique de Marx à la philosophie spéculative de Hegel, où Marx, influencé partiellement par les écrits de Feuerbach [9], reconnaît l’objectivité en tant qu’attribut originaire de tout être [10]. Toutefois, cela ne signifie pas « qu’on doit ignorer» dans l’analyse de cette longue période qui culmine avec Pour une ontologie de l’être social, « les inconvénients et les limites qui proviennent de l’absence comme fondement d’un projet ontologique explicite. A ce moment-là, chez Lukács, ce projet est complètement absent » [11].

En réalité, à partir du témoignage de l’auteur lui-même, on constate la connexion entre l’analyse de l’œuvre d’art et des questions d’ordre ontologique. Dans la Préface de 1969 à l’édition française de Mon chemin vers Marx, l’auteur affirme : « Si pour l’Esthétique le point de départ philosophique est le fait que l’œuvre d’art est là, qu’elle existe, la nature sociale et historique de cette existence fait déplacer toute cette problématique vers une ontologie du social » [12]. 

Lorsque nous signalons l’existence probable d’un fil conducteur en particulier entre l’Esthétique et l’Ontologie, il n’en résulte pas directement que Lukács aurait adhéré à l’expression elle-même, bien que, comme affirme Oldrini « la connexion conceptuelle existe déjà en germe, mais il manque le mot pour l’exprimer » [13]. En réalité, Lukács nourrissait une forte méfiance a l’égard du mot lui-même, en résistant à son usage ; « selon lui, adoptant la connotation que Heidegger lui avait conférée, le mot n’a qu’une valeur négative » [14]. Toutefois, lorsqu’il prend contact avec l’œuvre de Ernst Bloch, Questions fondamentales de la philosophie. Pour l’ontologie du pas-encore-être (noch-nicht-sein), publiée en 1961 et avec la volumineuse œuvre de N. Hartmann sur Ontologie, il se produit un changement de position de l’auteur par rapport au mot en question. Nicolas Tertulian  vient même à se demander « si Lukács se serait orienté à la fin de son parcours intellectuel vers l’ontologie en tant que science philosophique de l’être et de ses catégories, sans l’impulsion décisive des écrits de Hartmann » [15].

L’incursion Lukácsienne dans le débat de l’ontologie n’est nullement le fruit d’inclinations particulières ou personnelles, mais elle a lieu par le fait qu’il reconnaît qu’une série de questions théoriques devraient être traitées dans une perspective nouvelle. Les adversités de son temps lui imposaient – ainsi jugeait le penseur hongrois – l’énorme tâche de retourner à l’œuvre de Marx afin de reformuler complètement les perspectives théoriques en vigueur. Elles lui imposaient également de répliquer d’une façon décisive aux déformations et perversions de la pensée marxiste pratiquée par le stalinisme. Précisément pour cette raison, le dernier grand ouvrage philosophique de Gyorgy Lukács, Pour une ontologie de l’être social, constitue à l’intérieur de l’histoire du marxisme, un événement à part, une innovation radicale face à l’interprétation dispensée à l’œuvre de Marx  tout au long du siècle dernier. Cet ouvrage a pour mérite d’être le premier à souligner le caractère ontologique de la pensée de Marx.

Le retour à Marx préconisé par Lukács possède une particularité notable par rapport aux interprétations antérieures : il s’agit de son affirmation programmatique selon laquelle « personne hors Marx ne s’est occupé de l’ontologie de l’être social ». Il dénonce les préjugés anti-ontologiques des interprétations de la pensée marxienne qui restent cantonnés dans une orientation purement logico-épistémologique. En réalité, comme Lukács lui-même suggère, cette rigidité n’est rien d’autre qu’un versant spécifique des réflexions logico-épistémologiques qui ont dominé tout le scénario philosophique depuis le XVIIe siècle [16] et qui s’opposent vigoureusement à « tout essai de fonder sur l’être la pensée philosophique autour du monde », en affirmant « comme non scientifique toute question par rapport à l’être » [17].

Toute la vigueur des écrits ontologiques de Lukács possède deux directions fondamentales : d’une part, elle s’oppose vivement aux lectures mécanicistes trouvant leur origine au sein principalement du stalinisme et du marxisme vulgaire, et d’autre part, elle cherche à combattre les critiques des adversaires de Marx, en démontrant comment l’incompréhension – voire le refus - de toute ontologie se trouve circonscrite dans des nécessités imminentes de la configuration de la société capitaliste.

Le combat indiqué par Lukács contre la prédominance des réflexions logico-épistémologiques est dans la perspective qui concilie la position théorique avec la nécessité pratique. Contre la prédominance manipulatoire où la science s’est vue réduite dans le monde du capital, l’ontologie pose à nouveau le problème philosophique essentiel de l’être et du destin de l’homme.

La constatation d’une ontologie chez Marx lui fournit les éléments passibles d’établir, une fois pour toutes, la rupture avec la gnoséologie. Les réflexions de Lukács ont comme point de départ la critique fondamentale qui postule que, chez Marx, « le type et le sens des abstractions, des expérimentations idéales sont déterminés non pas à partir des points de vue gnoséologiques ou méthodologiques (et encore moins logiques), mais à partir de la chose elle-même, c’est-à-dire de l’essence ontologique de la matière traitée » [18].

Lukács différencie « l’ancienne philosophie » de la philosophie de Marx : « le marxisme se différencie en termes clairs des conceptions  précédentes du monde : dans le marxisme l’être catégorial de la chose constitue tout l’être de la chose, tandis que dans les anciennes philosophies l’être catégorial était la catégorie fondamentale à l’intérieur de laquelle les catégories de la réalité se développent. Il ne s’agit pas que l’histoire se déploie à l’intérieur du système des catégories mais, au contraire, l’histoire est la transformation du système des catégories. Les catégories sont, en somme, des formes de l’être » [19]

L’être n’est pas une catégorie abstraite, dans la mesure où il est compris comme totalité concrète dialectiquement articulée en totalités partielles. Cette structure constitutive de l’être, que Lukács désigne comme un « complexe de complexes » - adoptant la terminologie de Nicolai Hartmann – se présente toujours comme une connexion intriquée des éléments dans le sein de chaque complexe. Le complexe dans cette perspective est compris et déterminé en tant qu’ensemble articulé de catégories qui se déterminent réciproquement, et qui se structurent de façon décisive  par une catégorie qui agit comme moment prépondérant dans son intérieur. Cet affrontement – théorique et pratique – constitue le fondement de l’argument qui avertit de la nécessité d’un retour à Marx, sans les limites soulevées par le marxisme en général. Il s’agit de faire disparaître des pages de l’œuvre marxienne, une discussion totalement étrangère à son discours : les affirmations qui signalent l’existence chez Marx d’un déterminisme univoque, provenant de la sphère économique, et qui absolutise la force du fait économique, lorsqu’il relègue au second plan l’efficacité des autres complexités de la vie sociale. Contrairement au déterminisme univoque de la sphère économique face aux autres instances de la sociabilité, comme l’affirmant la plupart de ses adversaires, le noyau structurant de la pensée économique de Marx se fonde sur la conception de la détermination réciproque des catégories qui constituent le complexe de l’être social. Ce sont, par conséquent, des moments qui se présentent en permanence dans un état de détermination réflexive. C’est l’interaction de ces moments qui constitue la structure dans laquelle le processus de socialisation de l’homme se déplace et se dynamise. Les catégories de la production et de la reproduction de la vie – la sphère économique – développent la fonction motrice centrale de cette dynamique. Cependant, elles ne peuvent que se développer sous la forme d’un moment ontologiquement primaire d’une interaction entre les complexes qui existent, dans la dialectique objective, entre le hasard et la nécessité. Par conséquent, les sphères de superstructures de la société ne sont pas de simples épiphénomènes de la structure économique. Loin de constituer un réflexe passif, ces structures peuvent agir (ou rétroagir) sur le fondement matériel dans un degré plus ou moins grand, néanmoins, toujours à l’intérieur des « conditions, des possibilités ou des empêchements » que ce fondement détermine.

Ce qui caractérise et détermine la spécificité de l’activité humaine est une « activité posée », c’est-à-dire, c’est la configuration objective d’une fin préalablement pensée – le poser téléologique Le travail passe ainsi a être compris comme unité entre la pose effective d’une objectivité donnée et l’activité idéale préalable, directement régie et médiatisée par une finalité spécifique. 

C’est l’analyse des formes distinctes des actes téléologiques qui nous aide à comprendre le processus de développement des phases supérieures à partir de la forme originaire du travail. La dynamique inhérente aux interactions catégorielles du travail    non seulement établit l’origine humaine mais aussi détermine la dynamique des formes supérieures de la pratique sociale. Dans les formes supérieures de la société, elles occupent un lieu de distinction, en accaparant le rôle prédominant dans la dynamique de ce processus. Les actes ainsi nommés téléologiques secondaires deviennent plus « dématérialisés », une fois qu’ils se déconnectent de la relation directe avec le moment matériel de la pratique sociale. Ce sont ces actes, aussi désignés comme des actes socio-téléologiques, qui seront plus tard à l’origine des dimensions importantes de la pratique sociale, - telles que l’éthique, l’idéologie et  – ceci est une question cruciale pour Lukács – à la genèse des actions politiques.

Sur les Prolégomènes pour une ontologie de l’être social il est indispensable d’ajouter quelques informations importantes. D’après Nicolas Tertulian, ces manuscrits ont valeur de témoignage car ils représentent le dernier grand texte philosophique de Lukács. En fait ils ont étés rédigé peu avant sa mort. [20]

Sur les raisons qui ont guidé le philosophe à écrire ses Prolégomènes après avoir finalisé l’Ontologie, il y a des divergences entre les interprètes. D’après quelques témoins « (en particulier Istvan Eörsi, son traducteur pour l’hongrois), Lukács avait quelques doutes sur l’organisation du contenu de l’Ontologie, subdivisé en une partie historique/…/et une partie théorique, ce qui pourrait donner lieu à certaines répétitions. Étant conçus comme discours strictement théoriques, dans le but de fixer les points fondamentaux de l’Ontologie, les Prolégomènes ne connaissent pas cette dichotomie » [21]

Certains chercheurs de l’œuvre lukácsienne, eurent connaissance d’une information selon laquelle  Lukács aurait décidé de réécrire l’Ontologie, face aux critiques qu’il avait reçues de ses élèves, critiques consignées dans un texte publié « dans une traduction italienne à la fin des années 1960 dans la revue ‘aut-aut’ et successivement en anglais et en allemand »[22]sous le titre d’Annotations sur l’ontologie pour le compagnon Lukács.[23]

Cet événement pourrait être important afin d’expliquer la décision de Lukács. Encore selon Nicolas Tertulian, « considérant que les Prolégomènes ont été écrits après que Lukács ait eu connaissance des critiques formulées par ce groupe de philosophes, ses amis et disciples, on pourrait s’interroger si la décision d’écrire post festum une longue introduction à l’ouvrage n’aurait été prise précisément que pour répondre à ces objections. Or, une lecture des Prolégomènes à la lumière des Annotations, montre en toute évidence que Lukács n’a vraiment rien altéré à ses positions de fond » [24]. Par conséquent, l’hypothèse la plus plausible, au contraire de ce qui a été relevé, est que Lukács ait gardé l’impression de ne pas avoir réussi à exprimer avec clarté et profondeur ses intentions initiales, celles qui l’ont conduit à élaborer l’Ontologie elle-même.

Mais quels seraient exactement le locus et le rôle des Prolégomènes à l’intérieur  de cette immense entreprise, à laquelle Lukács a consacré ses dernières années de vie ? C’est à nouveau Nicolas Tertulian qui affirme en se servant d’informations concrètes : « Conçus, alors, comme introduction au texte principal de l’Ontologie, les Prolégomènes, pourtant, représentent une vaste conclusion » [25]. Il signale en outre que « les Prolégomènes ne sont en fait pas une simple répétition des idées développées dans le grand corpus de l’Ontologie de l’être social, mais qu’au contraire, ils portent de nouvelles inflexions et, parfois, des contributions inédites [26], malgré leur caractère répétitif et parfois lacunaire dans quelques passages spécifiques.

Selon notre point de vue, parmi les principales contributions inédites de ces écrits celle qui concerne les rapports entre individu et genre,  n’a pas encore reçu le traitement analytique adéquat. Cependant, en revanche, Lukács affirme que « le lieu central de la generitée, le dépassement de son mutisme naturel n’est aucunement une ‘idée’ géniale et isolée survenue au jeune Marx. Quoique la question apparaisse rarement de façon ouverte avec cette terminologie explicite, dans ses ouvrages postérieurs, Marx n’a jamais cessé d’envisager dans le développement de la generitée le critère ontologique décisif pour le processus de développement humain » [27] D’après le philosophe hongrois, la catégorie de generitée explicite la conception « révolutionnaire sur l’être et le devenir du genre humain » [28] instaurée par Marx. Lukács identifie le lieu génétique de cette conception, c’est-à-dire, le dépassement du genre muet naturel et l’avènement du genre proprement humain, précisément dans la praxis qui constitue la manière selon laquelle l’«adaptation active » se développe, et où, par conséquent s’effectue, de façon contradictoire et non identique, la constitution processuelle de l’être social. Autrement dit, « le fondement ontologique du saut [du genre muet par le genre pas muet pas-plus-muet E. V.] a été la transformation de l’adaptation passive de l’organisme à l’ambiance vers une adaptation active, lorsque la sociabilité surgit comme nouvelle manière de géneritée» [29]. Dans ce contexte, Lukács n’entend pas l’individualité comme une donnée humaine originaire, mais plutôt comme une catégorie qui se constitue aussi historiquement, dans le fondement d’une « détermination réciproque » avec la géneritée, mais pas uniquement. Il s’agit d’un processus extrêmement lent qui permet que le problème de l’individualité puisse apparaître non seulement comme un problème réel, mais aussi universel. En outre, « le vrai développement de l’individualité /…/ est un processus fort complexe dont le fondement ontologique est constitué par les posées téléologiques [30] de la praxis, y compris toutes les circonstances, mais qui n’a lui-même aucun caractère téléologique » [31]. Nous sommes, enfin, face à un processus qui se déploie dans le sens aussi objectif que subjectif, c’est-à-dire, « en raison de la praxis, l’être humain, qui se constitue au milieu d’une multiplicité de plus en plus variée, se présente devant une société /…/, où non seulement la corporification objective de la génerité s’accroît, ce qui  la rend de plus en plus variée sous divers aspects, mais qui, en même temps, impose des exigences multiples et diversifiées à l’ individu humain qui y est pratiquement actif » [32]. Il faut mentionner, qu’à un moment donné de la sociabilité, il y a une multiplicité presque infinie de décisions alternatives qui doivent être prises par l’individu singulier de la société, individu qui est constamment provoqué, ou même contraint à prendre des décisions, étant donné la différentiation et la complexification de la société dans son ensemble. Enfin, il est important de souligner que, lorsqu’on se penche sur la convergence ou la divergence entre le développement social et individuel, tout parait nous montrer que Lukács ne conçoit pas la formation des individus humains comme des simples produits mécaniques du genre, car, dans ce cas, les traces spécifiques de l’être social s’effaceraient, et il resterait seulement la relation naturelle muette entre l’espèce et son exemplaire.

 



[1]    *Professeur de Philosophie à l’Université Fédérale de Minas Gerais

      VAISMAN, E. « O ‘jovem’ Lukács : Tragico, Utopico, Romantico ? » in Revista Kriterion,n.112,2005, pp.293-310.

[2]    Id. Ibid. p.294.

[3]    TERTULIAN, N. « L’Évolution de la Pensée de Georg Lukács » in L’Homme et la Société, n. 20, avril, - mai-juin, Paris : Editions Anthropos, 1971, p. 15.

[4]    d. Ibid.

[5]    Id. Ibid.

[6]    VAISMAN, E. Op.Cit. p. 294.

[7]    OLDRINI, G. « Em busca das raizes da ontologia (marxista) de Lukács » in Lukács e a Atualidade do Marxismo. Sao Paulo: Boitempo Editorial, 2002, pp.49-75.

[8]    TERTULIAN, N. Lukács Hoje » in Lukács e a Atualidade do Marxismo. Sao Paulo: Boitempo Editorial, 2002, pp 27-48.

[9]    Cf.Principios da Filosofia do Futuro, Lisboa: Ediçoes 70, s/d.

[10]  Dans O Pensamento Vivido, Op. Cit. P.145, Lukács se situe  de la façon suivante: “Marx a élaboré principalement – et je considère cela la partie la plus importante de la théorie marxienne – la thèse selon laquelle la catégorie fondamentale de l’être social, ce qui vaut d’ailleurs pour tout être, c’est qu’il est historique. Dans les manuscrits parisiens, Marx dit qu’il y a seulement une science, c’est-à-dire, l’histoire, et il ajoute : « Un être pas objectif est un non-être ». Cela veut dire, il ne peut pas exister une chose qui n’ait pas de qualités catégorielles. Exister signifie alors que quelque chose existe dans une objectivité de forme déterminée, i.e., l’objectivité de forme déterminée constitue cette catégorie à laquelle l’être en question appartient ».

[11]  OLDRINI, G. Op. Cit. p.67.

[12]  LUKÁCS, G. Utam Marxhoz, Budapest, 1971, p.9-31 apud OLDRINI, G. Op.Cit. p. 69.

[13]  OLDRINI, G. Op ; Cit. p.67

[14]  Id. Ibid.

[15]  TERTULIAN, N. « Nicolai Hartmann et Georg Lukács. Une alliance féconde », in Archives de Philosophie, n° 66, vol. 4, 2003, p.671

[16]  « Après 1848, après le déclin de la philosophie hégélienne et surtout lorsque la marche triomphale du néokantisme et du positivisme débute, les problèmes ontologiques ne sont plus compris. Le néokantisme élimine de la philosophie la chose incognoscible en elle-même, tandis que pour le positivisme la perception subjective du monde coïncide avec sa réalité : » In : LUKÁCS, G. Zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins, I. Halband, Luchterhand Verlag, 1984, p. 574. (trad. it. Tome I, p. 277.)96. (trad.it. p.302).

[17]  LUKÁCS, G. “Prolegomena zur Ontologie des gesellschaflitchen Seins ». Zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins, I. Halband, Luchterhand Verlag, 1984, p. 7 (trad. it. p. 3)

[18]  LUKÁCS, G. Zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins, I. Halband, Luchterhand Verlag, 1984, p. 596. (trad. it. p . 302)

[19]  LUKÁCS,G., Dialogo sobre o pensamento vivido; in: Revista Ensaio, n. 15/16; Sao Paulo: Ed. Ensaio, 1986; p .85.

[20]  TERTULIAN, N. Op. Cit. p. IX.

[21]  TERTULIAN, N. Op. Cit. p. XI.

[22]  Id. Ibid.

[23]  FEHER, F.; HELLER, A; MARKUS, G et VADJA, M. « Annotazioni sull’ontologia per il compagno Lukacs (1975) » in aut aut (fascicolo speciale), n. gennaio-aprile 1977, pp.  21-41.

[24]  TERTULIAN, N. Op. Cit. p. XI.

[25]  Id. Ibid p. XII. L’auteur ajoute encore : « L’édition hongroise de l’Ontologie a opté pour le mettre dans la fin de l’œuvre, comme une troisième volume, en tant que l’éditeur allemand a préféré rester fidèle à la lettre du projet de Lukács ».

[26]  TERTULIAN, N. Op. Cit. p. XXIV.

[27]  LUKÁCS, G. « Prolegomena zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins“ Op. Cit. p. 40.

[28]  Id. Ibid.

[29]  Id. Ibid. p. 43.

[30]  Dans le texte originel teleologischen Setzungen

[31]  Id. Ibid. p. 44.

[32]  Id. Ibid. p. 45.

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Le concept d'aliénation chez Heidegger et Lukács, par Nicolas Tertulian

Publié le par amisgeorglukacs.over-blog.com

Lukács, qui a toujours vu en Heidegger son grand antagoniste, s'est confronté à plusieurs reprises à son œuvre. Il l'a fait dans des ouvrages essentiellement polémiques comme Existentialisme ou marxisme ?, La Destruction de la raison, ou le texte consacré en 1949 à la Lettre sur l'humanisme, Heidegger redivivus ; il l'a fait dans des ouvrages qui sont des sommes philosophiques comme l'Esthétique ou l'Ontologie de l'être social. Aucun autre philosophe contemporain n'a suscité en lui un intérêt comparable, un intérêt critique bien sûr, comme si un jeu subtil d'affinités et de répulsions l'unissait à sa pensée.

Au centre de cet intérêt se trouvait l'approche heideggérienne du phénomène d'aliénation, à commencer par la célèbre description du On dans Sein und Zeit. Tout en reconnaissant autant dans la Destruction de la raison que dans l'Esthétique le caractère suggestif et la force de certaines pages de Sein und Zeit, Lukács soumettait la méthode et les conclusions de l'auteur à une sévère critique. Sa conviction était que l'aliénation, telle que Heidegger la concevait, visait des phénomènes sociaux analysés aussi par Marx - évidemment d'un tout autre point de vue - sous le nom de réification ou de fétichisme de la marchandise. Mieux encore : il n'hésitait pas à parler d'un « romantisme anticapitaliste » chez le philosophe fribourgeois [1], tourné non vers le passé, mais - sur les traces de Kierkegaard - vers la réalité quasi-théologique de l'Être, le On (das Man) n'étant qu'une image de la quotidienneté moderne, épurée de ses déterminations socio-économiques. A partir de ces prémisses, Lukács décelait dans Sein und Zeit une polémique sous-jacente avec le marxisme, et c'est dans cette perspective qu'il entreprend l'analyse du livre. L'ancien but de Simmel, à savoir « donner un soubassement au matérialisme historique » (psychologique, voire métaphysique) lui semblait ressurgir dans l'interprétation des phénomènes sociaux que Heidegger effectuait à partir de « l'ontologie fondamentale ». L'interprétation que Lukács donnait de la Lettre sur l'humanisme allait dans le même sens. Dans un passage devenu fameux, Heidegger reconnaissait le mérite historique de Marx comme penseur de l'aliénation et, dans ce sens, la supériorité du marxisme sur les autres conceptions de l'histoire. Il y laissait également entendre que seule une pensée de l'Être et de l'histoire de l'Être (donc la sienne, et non la phénoménologie de Husserl ou l'existentialisme de Sartre) pouvait engager un « dialogue fructueux » avec le marxisme. Le 5 mars 1963, Lukács écrivait à Karel Kosik à propos de ces affirmations : « Le passage a été écrit bien plus tard que Sein und Zeit, il est pourtant certain qu'il se rapporte intimement à cet ouvrage ». [2]

Lukács persistait donc à croire qu'il y avait dans Sein und Zeit une polémique cachée avec la conception marxiste de l'histoire et de l'aliénation. Mais les preuves philologiques lui manquaient ; le nom de Marx, pas plus que celui d'un auteur marxiste quelconque, n'apparaissait ni dans le livre, ni dans les autres textes heideggériens de l'époque. On peut supposer que pendant un bon moment, Lukács a été tenté de prendre au sérieux l'hypothèse de Lucien Goldmann (devenue pour celui-ci une certitude) selon laquelle il y a dans Sein und Zeit, et tout particulièrement dans les passages sur la réification, une réplique à ses propres thèses, défendues dans Geschichte und Klassenbewußtsein. Il existe même une lettre de Lukács, adressée le 1er mai 1961 à son éditeur Frank Benseler, dans laquelle il juge « à peu près plausible » (ziemlich plausibel) la démonstration philologique de Georg Mende, qui dans son livre, Studien über die Existenzphilosophie, conclut à l'existence d'une « polémique cachée » (versteckte Polemik) dans Sein und Zeit avec Geschichte und Klassenbewußtsein, bien que, par ailleurs, il présente à son correspondant cette thèse comme « une curiosité ».

Deux ans plus tard, dans une lettre à Karel Kosik, qui lui demandait des éclaircissements sur le sujet, il n'excluait toujours pas l'hypothèse d'un tel rapport entre son livre, qui - soulignait-il - était « très connu à l'époque », et les passages sur la réification de Sein und Zeit, tout en insistant sur le fait qu'il ne s'agissait que d'une hypothèse. A défaut de preuves philologiques, il finissait sa lettre par une formule qui résumait sa pensée. Partant de l'idée qu'au moment où il rédigeait son livre, Heidegger avait nécessairement dû rencontrer sur son chemin le marxisme, il concluait à une confrontation « dans une large perspective historique » (im großen historischen Sinne) des deux pensées. En ce sens, ajoutait-il, « il est indifférent de savoir quelle était la source directe de Heidegger ». Dans la préface de 1967 à Geschichte und Klassenbewußtsein, il prenait la même position. En mettant explicitement entre parenthèses le débat « philologique », il insistait sur le fait que le problème de l'aliénation était à l'époque « dans l'air ». [3]

La position de Lukács, on le voit, réclame un examen plus attentif, qu'il faut réserver pour une autre occasion. Mais la publication dans la Gesamtausgabe des cours donnés par Heidegger au début des années vingt, donc avant la publication de Sein und Zeit, ainsi que celle d'autres textes appartenant à la même époque, permet de connaître de façon plus précise la genèse de la pensée heideggérienne et, tout particulièrement, les origines de son concept d'aliénation.

Il apparaît aujourd'hui que les prémisses de ses réflexions sur l'aliénation étaient plutôt théologiques. Les concepts de réification et d'aliénation apparaissent dans des textes antérieurs à la publication de Geschichte und Klassenbewußtsein [4], et, par contre, on n'y trouve pas la moindre référence soit à un texte marxien, soit à un texte marxiste. La thèse de Lukács sur les origines kierkegaardiennes de la pensée heideggérienne se trouve en revanche plutôt confortée par la lecture de ces textes inédits.

En conclusion, ce qu'on peut dire avec certitude, c'est que la question de l'aliénation, centrale aussi bien chez Heidegger que chez les penseurs marxistes, est le terrain idéal de confrontation entre ces deux types de pensée.

Les thèses de l'aliénation et de l'existence déchue apparaissent très tôt dans la pensée de Martin Heidegger.

Un texte de 1922, Phänomenologische Interpretationen zu Aristoteles (Anzeige der hermeneutischen Situation) contient in nuce les analyses qui allaient faire la célébrité de Sein und Zeit. (1927). Dans ce texte, récemment découvert, publié par Hans-Ulrich Lessing dans Dilthey-Jahrbuch, Heidegger met déjà en évidence la tendance du souci à la dispersion dans le monde, la tendance de l'existence humaine à se laisser emporter par le monde, à s'identifier au monde - ce qui lui apparaît comme un détournement de soi. Pire : comme « une chute », comme « une déchéance » de l'authenticité du soi. Il écrit : « Ce penchant de l'attitude soucieuse (dieser Hang der Besorgnis) est l'expression d'une tendance factuelle fondamentale de la vie à faire défection à elle-même (zum Abfallen von sich selbst) et ainsi à sombrer dans le monde (zum Verfallen an die Welt) et par là-même à se détruire elle-même. [5] En vrai contemptor mundi, le philosophe considère le penchant du Dasein à se laisser accaparer par le souci du monde comme une fatalité (Verhängnis) - synonyme d'existence dévoyée, ou plus exactement aliénée.

Il n'est pas surprenant que Heidegger voie dans la recherche des attaches sécurisantes le trait caractéristique de la déchéance, car, selon lui, l'homme qui mène une vie tranquille, apaisée, échappe à l'inquiétude fondamentale, or celle-ci est le signe de la recherche de soi et de l'existence authentique, alors que la sécurité est le signe de la perte de soi, le synonyme de l'existence déchue. Et le philosophe fait appel à un concept de souche théologique pour illustrer la pression subie par l'homme dans son existence. Il parle du caractère tentateur du monde, qui attire le Dasein dans son orbite, en provoquant un détournement de soi-même. « En tant qu'apaisante, cette tendance à déchoir qui est le propre de la tentation est aliénante (entfremdend), c'est-à-dire que la vie factuelle devient de plus en plus étrangère à elle-même en se fondant dans son monde du souci, et cette agitation soucieuse et croyant être la vie, enlève à celle-ci de plus en plus la possibilité factuelle d'apercevoir son image dans la préoccupation et de se prendre ainsi (elle-même) comme étant le but d'un retour (sur soi) permettant la reconquête de soi ». [6]

Même innommé, l'œil de Dieu est présent, et il a le regard fixe : l'inquiétude fondamentale, le mouvement constant que doit entretenir la conscience humaine afin d'éviter sa réification, est conçue par rapport à une exigence d'authenticité qui, elle, ne change pas. En formulant ses considérations sur la. 4 déchéance inhérente à l'existence purement intramondaine, placée sous le signe des impulsions et des penchants, Heidegger tient à mettre en garde (dans son manuscrit de 1922 comme plus tard dans Sein und Zeit ) contre toute tendance à relativiser ce mouvement aliénant de la vie et à le regarder comme le résultat d'une situation historique transitoire. Les illusions « progressistes » sur la possibilité de neutraliser la déchéance, et sur l'émergence d'une époque historique plus heureuse, sont rejetées par le philosophe, car elles reposent, selon lui, sur l'incompréhension de la « fatalité interne », propre à ce mouvement de la vie (Heidegger rejoint sur ce point les critiques de Schopenhauer). Les projections idéalisantes d'un avenir heureux de l'humanité ne sont que les avatars du détournement de soi de l'existence.

C'est en se fondant sur cette représentation de la condition humaine que Heidegger entreprend la critique de l'ontologie traditionnelle.

Le reproche fondamental qu'il adresse à l'ontologie grecque est d'avoir privilégié le monde par rapport à l'existence humaine. La priorité accordée au « monde », à ses exigences et à ses impératifs, aurait mené nécessairement à l'occultation de la spécificité inaliénable du Dasein. Forgée pour maîtriser le monde la Vorhandenheit (l'être-sous-la-main), la conceptualité grecque, perpétuée par la pensée moderne, ne serait pas en mesure, selon Heidegger, de rendre compte de l'existence humaine dans sa temporalité originaire. « L'ontologie grecque - écrit-il - et son histoire qui à travers diverses filiations et déviations, détermine aujourd'hui encore la conceptualité de la philosophie, est le preuve que le Dasein comprend lui-même et l'être en général à partir du "monde", et que l'ontologie ainsi née bute sur la tradition qui la fait sombrer dans l'évidence et la ravale au rang d'un matériau qui n'attendrait plus que d'être retravaillé (ainsi en va-t-il pour Hegel) ». [7]

En prenant ses distances par rapport à l'ontologie traditionnelle (d'Aristote à Hegel), qu'il n'hésite pas à qualifier de « déracinée », Heidegger revendique une pensée qui plonge ses racines dans son « temps », dont elle doit assumer la singularité. Il rejette l'idée d'une philosophia perennis dans la mesure où celle-ci sacrifie au phantasme de « l'humanité universelle ». L'ontologie du Dasein n'a pas d'autre mission que d'exprimer le « souci fondamental » (Grundbekümmerung) de l'homme ancré dans son hic et nunc historique. Elle doit se charger de la « pesanteur » du Schwer- und Schwierigsein , apparaît tôt chez Heidegger, déjà dans des textes des années 1921-1922), en refusant les solutions de facilité qui consistent à se raccrocher aux principes et aux théories traditionnelles.

La déchéance est donc pour Heidegger consubstantielle à l'existence humaine ; il n'hésitera pas à l'identifier à « l'existence quotidienne » tout court. Déjà dans le cours de 1921-22, Phänomenologische Interpretationen zu Aristoteles, il esquissait une vraie phénoménologie de l'existence déchue, désignée par un terme fort : Ruinanz (être ruiné ; le mot ruiné étant étroitement associé à celui de Sturz - chute, effondrement). Le penchant (die Neigung), la suppression de la distance (die Abstandstilgung) et le verrouillage (die Abriegelung) étaient les moments constitutifs de « l'être-ruiné », de l'homme submergé par la préoccupation soucieuse du monde. Cette dernière, à son tour, comprendrait quatre moments définitoires : la tentation (das Verführerische, Tentative), l'apaisement (das Beruhigende, Quietive), l'aliénation (das Entfremdende, Alienative) et l'annihilation (das Vernichtende, Negative).

Il fait remarquer que Heidegger met en cause la socialité intramondaine en tant que telle, les rapports les plus élémentaires d'échange et de coopération entre les individus, en y voyant le lieu de résidence de la déchéance et de l'inauthenticité. C'est le sens de son affirmation, souvent répétée, selon laquelle, dès le début et dans la plupart des cas, le Dasein n'existe que sous forme d'inauthenticité. L’émergence du Soi dans le monde, ses contacts élémentaires avec les autres, nécessaires à sa conservation, sont présentés comme des actes d'« auto-aliénation » par rapport aux possibilités essentielles de l'individu. Ainsi dès le début le Soi est pris en charge par les forces anonymes du On, par les règles et les conventions de la coexistence sociale, qui le privent de son ipséité originaire. La préoccupation soucieuse du monde (Besorgnis) qui impose aux individus des rapports d'entraide et de « sollicitude » mutuelles (ce que Heidegger appelle die einspringende Fürsorge) est présenté comme le lieu de l'existence administrative et calculée, où le Soi se solidifie dans un Moi qui l'aliène, qui le sépare des possibilités qui lui sont les plus propres : « Im "Ich" spricht sich das Selbst aus, das ich zunächst und zumeist nicht eigentlich bin ». (Dans le "je" s'exprime le Soi-même que, de prime abord et le plus souvent, je ne suis pas authentiquement). [8] Ainsi la vie sociale se déroule-t-elle sous le signe de la médiocrité et du nivellement, dominée par lens realissimum du On.

Sur le plans strictement philosophique, et en consonance avec la dépréciation ontologique de l'existence fondue dans le monde, Heidegger va considérer l'appréhension purement cognitive du réel, donc l'appréhension thématisante et catégorielle, comme une modalité déficiente à appréhender l'être. Par conséquent, il va reléguer l'activité cognitive du sujet et son objet, les catégories de l'être, dans la zone inférieure de la dé-mondéisation du monde. « Im puren Dingwahrnehmen zeigt sich vielmehr die Welt in einer defizienten Bedeutsamkeit... ». Les catégories du réel, telles qu'elles ont été définies par Aristote, Kant ou Hegel, « sind schon aus einer Zugangsart... geschöpft die sich im Prozeß einer charakteristischen Entweltlichung befindet ». [9]

Aux yeux de Heidegger, l'inauthenticité frappe l'ensemble des activités humaines qui détournent le Soi de son pouvoir-être le plus propre. Mais l'inauthenticité imprègne aussi tout ce qui détourne le Soi de sa condition primordiale d'être-jeté dans le monde, sans les attaches sécurisantes du Woher (d'où) ou du Wohin (vers quoi). Même les activités psychiques les plus élémentaires, l'impulsion (Drang) et le penchant (Hang), sont rangées dans le lot des activités dissimulatrices et inauthentiques, car déclenchées sous la contrainte du monde ou emportées par la séduction ; elles sont des formes hétéronomes du souci et en permettent pas la libre auto-affirmation du soi. « L'impulsion en tant que telle rend aveugle », (der Drang als solches blendet, macht blind) écrit en ce sens Heidegger, en faisant référence à l'occultation de l'existence anticipatrice. [10]

Le discours de l'ontologie fondamentale, tel qu'il se développe dans Sein und Zeit, prend souvent la forme de l'injonction adressée au Dasein de s'arracher aux normes et aux impératifs de « l'espace public » afin de retrouver l'authenticité dans « l'esseulement » (Vereinzelung) et dans « la discrétion » (Verschweigung). « L'espace public » (die Öffentlichkeit) quadrillé par les puissances impersonnelles (même si souvent très « personnalisées » ) du On, a sa propre « intellection » et soumet le Soi à la loi du conformisme et du nivellement. Heidegger propose une description saisissante de l'être-avec-les-autres (Mitsein et Miteinandersein) dans l'espace public. Les exigences de la production et de la reproduction sociale (ce que le philosophe appelle das Besorgen), voueraient les individus à des existences quasi fonctionnelles et interchangeables : « Man ist Schuster, Schneider, Lehrer, Bankier. Hierbei ist das Dasein etwas, was auch Andere sein können und sind » (On est cordonnier, tailleur, professeur, banquier. Le Dasein est quelque chose que les autres aussi peuvent être et sont effectivement). [11] Les individus apparaissent instrumentalisés par la fonction qu'ils sont appelés à remplir : les rapports interhumains sont décrits comme des rapports utilitaires, dominés - y compris dans l'entraide et la sollicitude quotidienne - par « la distance et la réserve », et surtout par la « méfiance ». L'assujettissement des individus au « rôle » qui leur revient dans un ensemble fonctionnel, a comme effet la « médiocrité » et le « nivellement », car par sa nature même un tel ensemble neutralise les différences de niveau et la singularité du soi.

La particularité de la position heideggérienne s'exprime dans le fait que cette situation de déchéance et d'aliénation du Dasein est rapportée à « l'objectivation » intrasociale en tant que telle. Là où le pôle « objectif » de la vie sociale affirme sa prééminence, en exigeant l'insertion des actions individuelles à l'intérieur de son espace de jeu, se ferait jour la compréhension « vulgaire » de l'histoire, synonyme d'existence déchue, inauthentique. « Objectivation » et « aliénation » apparaissent donc étroitement liées.

L'ontologisation de l'existence inauthentique se traduit par son identification avec la « quotidienneté » . Cette dernière est décrite comme étant la zone par excellence de la dispersion (Zerstreuung), où l'existence est accaparée par la manipulation des choses, hantée par leur administration et leur calcul. Le Dasein se transforme lui-même en un être administré et calculé, dominé par l'hétéronomie, car il n'existe plus qu'en fonction des « outils » et de leur temporalité spécifique. Heidegger peut donc identifier l'existence quotidienne à une « chute » (Absturz), en brossant un tableau éminemment négatif des figures de l'aliénation qui régentent ce type d'existence. « Le Dasein se précipite de lui-même dans lui-même, dans l'absence de sol et la nullité de la quotidienneté inauthentique. Mais cette précipitation (dieser Sturz) demeure retirée à ses yeux par l'être-explicité public, au point même d' être explicitée comme "progrès" et comme "vie concrète"».[12]

Lukács a été un des premiers à déceler dans l'analyse heideggérienne de l'inauthenticité une critique déguisée de l'existence quotidienne dans la société capitaliste. Il a mis en cause l'ontologisation de cette critique et ses effets déformants. Il y a en effet, chez Heidegger, un glissement perpétuel de la radiographie critique de l'aliénation à la réfutation de « l'ontologie traditionnelle ». Ainsi, l'analyse critique d'une temporalité hantée par les choses et leur utilisation (par l'outil) aboutit dans la partie finale de Sein und Zeit à une mise en cause du « temps vulgaire », qui ne serait que l'expression de ce type d'existence manipulée. [13] L'acquis de l'authenticité passe ainsi par l'arrachement à « l'espace public » et à sa temporalité déchéante, afin de trouver son accomplissement dans le face à face avec la mort et dans la finitude assumée.

Les phénomènes de réification ou, à un degré supérieur de généralité, d'aliénation, se trouvent au cœur de la recherche de Lukács, tout au long de son œuvre. Le philosophe leur accorde une place de choix dans Geschichte und Klassenbewußtsein, dans son essai célèbre, La réification et la conscience du prolétariat, en reprend l'analyse sous un jour nouveau dans la partie finale du livre Le jeune Hegel, leur consacre un chapitre central dans l'Esthétique, où il est question de la mission défétichisante de l'art, ainsi que l'important chapitre final de l'Ontologie de l'être social ; enfin, il n'oublie pas de nous livrer ses dernières réflexions sur la question dans Prolégomènes à l'Ontologie de l'être social, son testament philosophique.

L'approche socio-historique et le refus ferme, ab initio, de toute transfiguration « ontologique » (méta-sociale) des phénomènes oppose Lukács d'emblée à la démarche de Heidegger. Rien de plus étranger à sa vision que, par exemple, la diabolisation de la technique, qui allait amener l'auteur de Sein und Zeit à imputer au même esprit maléfique agriculture motorisée, chambres à gaz, blocus ou bombes à hydrogène. Pareille homogénéisation de l'hétérogène (sans même parler des implications éthiques choquantes du raisonnement), va à l'encontre de l'interprétation pluraliste des processus d'aliénation, propre à Lukács.

Dans l'Ontologie de l'être social, Lukács met en place une véritable phénoménologie de la subjectivité pour rendre intelligibles les assises socio-historiques du phénomène d'aliénation. Il distingue deux niveaux d'existence : le genre humain en-soi et le genre humain pour-soi. Caractéristique pour le premier est la tendance à réduire l'individu à sa propre « particularité », pour le second, l'aspiration vers une « nicht mehr partikulare Persönlichkeit ». L'acte téléologique (la teleologische Setzung), défini comme phénomène originaire et le principium movens de la vie sociale, est décomposé à son tour en deux mouvements distincts : l'objectivation (die Vergegenständlichung) et l'extériorisation (die Entäußerung). En soulignant la conjonction, mais aussi la possible divergence de ces deux moments, à l'intérieur du même acte, Lukács fait valoir l'espace d'autonomie de la subjectivité par rapport aux exigences de la production et reproduction sociale. Face à une situation identique, avec ses contraintes d'objectivation, l'éventail des réactions subjectives (l'intériorisation de l'intériorité) peut être très large. Le champ de l'aliénation se situe dans « l'espace intérieur » de l'individu, comme une contradiction vécue entre l'aspiration vers l'autodétermination de la personnalité et multiplicité de ses qualités et de ses activités, qui visent la reproduction d'un ensemble étranger. La distorsion entre objectivation et extériorisation, entre le fonctionnement de l'individu en tant qu'agent de la reproduction sociale et l'auto-expression de sa personnalité, se traduit par des blocages et des refoulements (dans le cas de l'acceptation du statu quo social), ou, au contraire, par des actes de résistance et d'opposition active.

L'individu replié dans son autosuffisance, acceptant l'immédiateté de sa condition - imposée par le statuquo social - sans velléité de « transcendance » et sans véritable aspiration à l'autodétermination, est pour Lukács l'individu à l'état de « particularité », l'agent par excellence du genre humain en-soi. Il emprunte une réplique au roi des Trolls (Peer Gynt) pour définir la « particularité » comme cantonnement dans l'autosuffisance et dans la réfutation du Sollen (transcendance du donné) : « Troll, suffis-toi toi-même ». Définitoire pour les Trolls, la formule marque la différence par rapport aux hommes qui ont pour devise : « Homme, sois toi-même ». A travers des exemples littéraires, empruntés surtout à la littérature du XIXe siècle, mais en faisant aussi appel à quelques grands noms de la littérature du XXe siècle, (O'Neill, Elsa Morante, Styron, Thomas Wolfe ou Heinrich Böll), Lukács essaie de tracer dans son texte Lob des neunzehnten Jahrhunderts la ligne de clivage entre la « particularité » des sujets aliénés et la « nicht mehr partikulare Persönlichkeit » qui incarne l'aspiration vers l'authentique genre humain. [14] Le passage de l'existence de Troll à la véritable existence humaine implique l'assomption de la « transcendance » (Sollen), la volonté de retrouver une force agissant dans l'intimité de la conscience humaine contre les impératifs d'une existence sociale hétéronome, la force de devenir une personnalité autonome.

A l'encontre de Heidegger, la quotidienneté n'apparaît plus dans cette vision comme l'espace par excellence de l'existence déchue ou aliénée. Dans son Esthétique, Lukács met d'ailleurs en question le « profond pessimisme » qui imprègne la description heideggérienne de la quotidienneté. [15] Selon lui, l'existence quotidienne est, au contraire, un champ de combat entre aliénation et désaliénation ; « l'ontologie de la vie quotidienne » fournit de nombreux exemples dans ce sens.

Dans l'Ontologie de l'être social, Lukács reprend d'un point de vue nouveau, génétique-ontologique, le problème traité dans Geschichte und Klassenbewußtsein. La méthode ontologique-génétique, qui suit la genèse des différentes catégories de la vie sociale et leur sédimentation progressive, lui permet cette fois-ci de distinguer entre réification « innocentes » et réifications aliénantes. [16] La condensation des activités dans un « objet » (déterminé, une chose) s'accompagnant symétriquement de la « chosification » des énergies humaines, qui fonctionnent comme des réflexes conditionnés, aboutit à des réifications « innocentes » (unschuldige Verdinglichungen) : le sujet est résorbé dans le fonctionnement de l'objet, sans pourtant être soumis à une « aliénation » proprement dite. Celle-ci n'apparaît que lorsque les mécanismes sociaux transforment le sujet réifié en un simple objet, ou plus exactement en un sujet-objet fonctionnant pour l'auto-affirmation et la reproduction d'une force étrangère. L'individu qui arrive à auto-aliéner ses possibilités les plus propres, en vendant par exemple sa force de travail dans des conditions imposées, ou celui qui, sur un autre plan, sacrifie à la « consommation de prestige », imposée par la loi du marché, sont des exemples de réification aliénante.

Le problème de la « réification » est aussi évoqué, on le sait, par Heidegger dans des endroits clé de Sein und Zeit, y compris sous la forme des interrogations sur « l'existence non-réifiée ». « Que l'ontologie antique travaille avec des "concepts de choses" - écrit-il - et que le péril subsiste de "réifier" la conscience, on le sait depuis longtemps. Mais que signifie réification ? D'où provient-elle ? Pourquoi l'être est-il justement "de prime abord" "conçu" à partir du sous-la-main (aus dem Vorhandenen) et non pas à partir de l'à-portée-de-la-main (aus dem Zuhandenen), qui pourtant se trouve encore davantage à proximité ? Pourquoi cette réification assure-t-elle constamment de nouveau sa souveraineté ? Comment l'être de la "conscience" est-il positivement structuré pour que la réification lui demeure inadéquate ? ». [17]

La réponse à ces questions passe chez Heidegger, nous l'avons vu, par le désaveu infligé à l'ensemble de la métaphysique traditionnelle. La désaliénation de l'existence (l'acquis de son « authenticité », dans la terminologie heideggérienne) suppose la réappropriation du contact originaire avec l'Être, occulté par l’« Ontologie der Vorhandenheit », source de réification. Le passage à l'authenticité n'a rien à voir chez l'auteur de Sein und Zeit avec une conception éthique de l'homme ; sa pensée reste fondamentalement une eschatologie sécularisée. Si nous prenons comme exemple, « l'appel de la conscience » (der Ruf des Gewissens), un des « existentiels » destinés à assurer la conversion à l'authenticité, on constate que Heidegger exclut de sa sphère les impératifs moraux ; ceux-ci sont rejetés dans la sphère de la conception « vulgaire » de la conscience. La conception kantienne de la loi morale, ainsi que l'éthique matérielle des valeurs (celle de Scheler ou de Nicolai Hartmann) sont également abandonnées. Il suffit en revanche de regarder de plus près les catégories affectives qui jalonnent le trajet vers l'authenticité pour déceler dans Sein und Zeit des positions qui peuvent expliquer le futur engagement politique de Heidegger : « la sobre angoisse » ou « la joie martiale » (die gerüstete Freude[18] qui larguant tout « idéalisme » font jaillir dans le Dasein la résolution anticipatrice et l'authentique être vers la mort.

Le combat contre l'inauthenticité (contre ce qu'il appelle « die Unechtheit des Menschen ») et contre l'aliénation est aussi le leitmotiv des derniers écrits théoriques de Lukács ; la partie finale de l'Ontologie de l'être social et des pages essentielles des Prolégomènes lui sont consacrées. Lukács poursuit la migration des grands conflits sociohistoriques dans l'intimité de la conscience des sujets singuliers. La tension entre authenticité et inauthenticité est observée dans la lutte du sujet pour transgresser sa pure « particularité » et atteindre
- sans exclure le dépérissement tragique du sujet au cours du combat - le niveau de l'humanité véritable. L'autodétermination de la personnalité, en faisant éclater les sédiments de la réification et de l'aliénation, est synonyme de l'émancipation du genre humain.

En traquant les diverses formes de réification et d'aliénation qui obscurcissent la conscience de l'homme contemporain, l'auteur de l'Ontologie de l'être social n'oublie pas de dénoncer celles qui résultent des pratiques staliniennes.

Le règlement de compte avec le stalinisme est évidemment une question cruciale pour le marxiste Lukács. En même temps acteur et victime du mouvement communiste, il brosse dans ses derniers écrits un tableau lucide, par exemple, à propos de la question de l'aliénation, une attention particulière à la dégradation subie par le concept de « dévouement à la cause » ; le sacrifice de soi devient sous le régime stalinien un véritable psychodrame, une auto-aliénation totale de l'individu, car la cause (die « Sache » ) n'est plus que la caricature de l'ancien « idéalisme du citoyen », un masque pour la reproduction et l'auto-affirmation d'un pouvoir despotique. En analysant la transformation en « objets » des individus vivant dans un régime soi-disant socialiste, il dénonce vigoureusement, et en un temps où beaucoup de ses critiques tapageurs d'aujourd'hui se taisaient, les pratiques d'une politique dont le corolaire était l'asservissement et l'apathie générale de la population.

Si le grand projet de rédiger une Éthique n'a pas pu être mené à terme, il reste dans les derniers écrits de Lukács suffisamment d'éléments qui permettent de reconstituer sa théorie de la personnalité et de l'authenticité éthique, dont le cheminement vers la désaliénation es


[1]      Georg Lukács, Die Eigenart des Ästhetischen, 1 Halbband, in Werke, Band II, 1963, Luchterhand, p. 68

[2]      Les lettres de Lukács adressées à Karel Kosik et Frank Benseler, citées dans ce texte, sont inédites. Nous les avons consultées aux Archives Lukács de Budapest

[3]      Georg Lukács, Geschichte und Klassenbewußtsein, in Werke, Band 2, 1968; Luchterhand, p. 24

[4]      Le terme de « réification »`(Verdinglichung) apparaît déjà dans le cours donné par Heidegger pendant le Kriegsnotsemester de 1919 (cf. Gesamtausgabe, vol. 56/57, 1987, Klostermann, pp. 66 et 69). Il réapparaît dans la dernière annexe, intitulée « Erhellung und Faktizität », du cours donné en 1921-1922, sous le titre Phänomenologische Interpretationen zu Aristoteles. Einführung in die Phänomenologische Forschung. Cette annexe contient les remarques de Heidegger sur la thèse d'habilitation de Julius Ebbinghaus (restée inédite), où il semble avoir rencontré le concept de « Verdinglichung ». A ce propos, il formule des interrogations préfigurant celles de Sein und Zeit (« warum nicht verdinglichen, warum anders und wozu ? ») (cf. GA, Bd. 61, p. 198-199). Il ressort donc que le philosophe fribourgeois avait présente à l'esprit la problématique de la « Verdinglichung » avant la parution du livre de Lukács (1923). Pourtant, la possibilité qu'il ait pris connaissance de l'ouvrage de Lukács ne peut pas être exclue. Un détail biographique prend dans ce contexte une certaine importance. Heidegger a passé quelques semaines de vacances en septembre 1923, chez Wilhelm Szilasi, dans la villa de celui-ci, à Feldafing, sur le lac Starnberger. (cf. la lettre de Heidegger du 2 septembre 1923 à Karl Jaspers dans Martin Heidegger - Karl Jaspers Briefwechsel 1920-1963, Klostermann-Piper, 1990, p. 43-44.) Or il est possible que Szilasi, très lié à Lukács (il avait été son secrétaire pendant la Commune hongroise de 1919) possédât un exemplaire de Geschichte und Klassenbewußtsein.

[5]      Martin Heidegger, Phänomenologische Interpretationen zu Aristoteles. (Anzeige der hermeneutischen Situation), hrsg. von Hans-Ulrich Lessing, in Dilthey-Jahrbuch, Band 6, 1989, Vandenhoeck & Ruprecht in Göttingen, p. 242

[6]      Ibid. p. 243

[7]      Martin Heidegger, Être et Temps, trad. E. Martineau, 1985, Authentica, p. 39

[8]      Sein und Zeit, 1941, fünfte Auflage, p. 322, trad. fr. éd. cit. p. 227.

[9]      GA, Bd. 20, « Prolegomena zur Geschichte des Zeitbegriffs », p. 300-301.

[10]     Ibid. p. 410

[11]     Ibid. p. 336.

[12]     Être et Temps, éd. cit. p. 139

[13]     «Zunächst und zumeist ist die Sorge umsichtiges Besorgen. Um willen seiner selbst verwend "verbraucht" sich das Dasein. Sichverbrauchend braucht das Dasein sich selbst, d. h. seine Zeit. Zeitbrauchend rechnet es mit ihr. Das umsichtig-rechnende Besorgen entdeckt zunächst die Zeit und führt zur Ausbildung einer Zeitrechnung... Die an ihr zunächst ontisch gefundene "Zeit" wird die Basis der Ausformung des vulgären und traditionellen Zeitbegriffes» (Sein und Zeit, p. 333.)

[14]     Georg Lukács, Lob des neunzehnten Jahrhunderts, dans Essays über Realismus, in Werke, Band 4, 1971, Luchterhand, p. 662-663.

[15]     Georg Lukács, Die Eigenart des Ästhetischen, p. 68.

[16]     Georg Lukács, Zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins, 2 Halbband, in Werke, Band 14, 1986, Luchterhand, pp. 579-580 et 642 sqq.

[17]     Être et Temps, p. 296

[18]     Sein und Zeit, p. 310. On ne peut s'empêcher de constater que le sens de l'expression est trahi dans la plupart des traductions. E. Martineau, par exemple, la traduit par « joie vigoureuse » en confondant peut-être « gerüstet » avec « rüstig ». Pietro Chiodi met «gioia imperturbabile», (Essere e Tempo, Longanesi & Co. quarta edizione, p. 374), ce qui nous semble un contre-sens. Quant à François Vézin, il se débarrasse tout simplement, dans la traduction publiée chez Gallimard, de l'adjectif, ne retenant que l'idée de « joie ». Pourquoi cet embarras devant la « joie martiale », célébrée par Heidegger ?

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